C’est régulier, reposant, il occupe l’espace de manière simple et apaisante. Et pourtant le vitrail géométrique, avec ses déclinaisons innombrables, contient une poésie secrète que je ne me lasse pas de découvrir et de proposer à mes clients.
De facture classique ou bien contemporaine, le vitrail à motif géométrique donne équilibre à la lumière, organise l’espace et offre aux verres de couleur une visibilité optimale.
Carrés, rectangles ou encore losanges, c’est simple. Ou bien pièces en doubles bornes couchées ou motif en trébols imbriqués. Ne vous laissez pas impressionner par ces termes cryptés. Il s’agit tout simplement de vitraux aux motifs réguliers, ajustées les uns dans les autres jusqu’à obtenir le remplissage d’une surface à vitrer.
Née d’abord de la nécessité d’habiller une baie à moindres frais (une grande vitre étant plus fragile et chère que des morceaux assemblés) cette pratique a fini, comme il arrive souvent pour les contraintes matérielles, par générer sa propre esthétique.
Comme pris par une ivresse créatrice, les verriers ont alors multiplié les combinaisons, ajustant des pièces des plus en plus compliquées, virtuoses, aux géométries inattendues, parfois époustouflantes de maîtrise.
Et le vitrail est ainsi sorti des lieux de culte pour s’installer dans les maisons bourgeoises, comme en témoignent les toiles de Vermeer.
Pas étonnant dès lors que l’architecture du XX siècle ait adopté l’austérité abstraite de ces verrières dans les édifices modernes. De même, dans la production de vitraux artistiques, de nombreux créateurs ont été sensibles aux potentialités de cette esthétique de la symétrie et du remplissage régulier. Ainsi de Josef Albers à F. L. Wright, de J. P. Raynaud à Aurélie de Némours, le vitrail géométrique appliqué à l’architecture a fait preuve de toute sa puissance expressive.
C’est ainsi que notre atelier n’hésite pas, selon une approche personnelle, à proposer cet outil architectural dans des édifices où une structuration rigoureuse et subtile de la lumière naturelle s’impose comme un élément à la fois fort et modeste.
Une poétique du simple verre de couleur qui n’a pas échappé à Flaubert qui, dans un passage manuscrit (non publié) de Madame Bovary, s’attarde, avec Emma, sur les sentiments évoqués par la vision du monde à travers un simple vitrail à motifs carrés…
Elle regarda la campagne par les verres de couleur qui étaient disposés en
petits carreaux les uns près des autres, et alternés avec des verres blancs sur
les trois fenêtres. D’abord les différents tons du bleu et du jaune,
puis du vert livide, rouge incendié.
Jaune – métallique – tout doré – cascade d’un moulin, fleuve d’or entre des rives –
Bleu – les cygnes – nénuphars – paysage d’argent – et elle eut froid.
Violet pourpre – mouvement dans l’immobilité à cause de la férocité de la
couleur, ciels incendiés – et elle eut peur –Des losanges égaux étaient disposés à l’une des deux fenêtres.
Elle regarda la campagne par les verres de couleur. À travers les bleus tout semblait triste —
une buée d’azur répandue dans l’air allongeait la prairie et reculait
les collines. Le sommet des verdures était velouté doucement par une
poussière de marron pâle floconnée dessus comme s’il fût tombé de la neige —
et dans un champ bien loin, un feu d’herbes sèches que l’on brûlait avait des
flammes d’esprit de vin.
Mais par les carrés jaunes les feuilles des arbres étaient plus petites, le gazon
plus clair et le paysage en entier comme découpé à l’emporte-pièce dans un
métal solide. Les nuages détachés du ciel figuraient des édredons de poudre
d’or prêts à crever. On eût dit l’atmosphère illuminée. C’était joyeux. — Il faisait
chaud dans cette grande couleur topaze délayée d’émeraude [d’azur].
Elle mit son œil au carreau vert, et tout fut vert, le sable, l’eau, les fleurs, la terre
elle-même se confondant avec les gazons. Les ombres étaient toutes noires et
la rivière [l’onde] livide semblait figée sur ses bords.
Mais elle resta plus longtemps devant la vitre rouge. Sous un reflet de
pourpre étalé partout et qui dévorait tout de sa couleur, la verdure était
presque grise [fauve], les autres tons rouges eux-mêmes disparaissaient. La
rivière élargie coulait comme un fleuve rose, les platebandes de terreau
semblaient des mares de sang caillé et tout le ciel immense amoncelait des
incendies. Elle eut peur.
Elle détourna les yeux et alors, par la fenêtre aux verres blancs, tout à coup, le
jour ordinaire reparut tout pâle et avec de petites nuées indécises de la couleur
du ciel.
Gustave Flaubert, Madame Bovary – manuscrits (ms g 223-1, folio 219)